« Une île littéraire », un roman d’île



Roman d'île - Lieux de l'Art et de l'errance | Martine Estrade | Literary Garden

Une île représente souvent une étape symbolique initiatique, l’écriture d’un roman également. La coalescence des deux est un voyage intime paradoxal.

Image mythique de la femme, de la vierge, de la mère, sacrée avec toute l’ambivalence que comporte cette notion, l’île évoque le refuge contre les assauts de l’inconscient, contre les flots de l’océan.

Temple naturel sorti de l’eau, caressé par l’air du vent, sous le feu du soleil, une île réunit en elle les éléments du cosmos et se gagne à l’issue d’une navigation ou d’un vol, symbole d’un centre spirituel.

L’île déserte, l’île inconnue alimente depuis la nuit des temps la littérature, les rêves, les désirs. « Il n’a besoin de rien, il a trouvé son île » chantait Dalida en hommage à Jacques Brel à sa mort. A l’inverse est exilé, celui qui a quitté sa terre et est abandonné sur une île étrangère.

Les romans consacrés à une île font vivre une croisière au sein du psychisme, à travers le monde, étranger, des autres observé à travers le miroir de l’île.

l’île d’Arturo d’ Elsa Morante (1918-1985), chef d’œuvre de la littérature italienne fut écrit en 1957 par celle qui fut pendant vingt ans l’épouse de l’écrivain Alberto Moravia lequel l’admirait éperdument. Le roman décrit la nostalgie douloureuse, tragique, poétique, d’un royaume perdu de l’enfance et du narcissisme où n’ont cours ni le temps, ni la douleur ni la mort vers la découverte des femmes et du monde adulte.

Arturo, s’arrachera au paradis insulaire de Procida, l’île du golfe de Naples où il a grandi, et au monde imaginaire du père tout-puissant. Une mère morte à sa naissance, un père inaffectif, absent le plus souvent et Arturo évolue, sauvage et solitaire. Rien ne le prépare à. pénétrer sous l’influence de l’amour des femmes, de la sexualité dans un autre monde où il ne trouvera plus personne à idolâtrer. A découvrir ce qu’il vivra comme l’univers faux et trouble, hostile et exaltant, des adultes. L’initiation se déploiera, dans une atmosphère captivante, à travers des aventures enfantines que baigne de poésie le style d’Elsa Morante, vers l’ultime épreuve , celle de la révélation du dernier et du plus cruel des mystères de la vie, l’amour.

« Sans les femmes , l’existence serait une jeunesse éternelle ; un jardin ! On serait beau, libre et insouciant et s’aimer voudrait dire seulement : se révéler l’un à l’autre toute la beauté qu’on a . L’amour serait un ravissement désintéressé , une gloire parfaite , comme se regarder dans le miroir ; il serait…une cruauté naturelle et sans remords , comme une chasse merveilleuse dans un bois royal. Le véritable amour est ainsi : il n’a aucun but et aucune raison et ne se soumet à aucun pouvoir qui n’est pas la grâce humaine. L’amour des femmes, au contraire, est un esclave du destin qui travaille pour perpétuer la mort et la honte »

Amoureux fou de sa toute jeune belle-mère, Arturo s’enfuiera en bateau de Procida, l’île a perdu sa valeur de terre protégée de l’enfance. « Je préfère faire comme si mon île n’avait jamais existé »

Le navire d’Arturo appareille vers le large pour gagner le continent et fuir l’amour incestueux insulaire menaçant. Arturo, désormais a perdu son île : « Autour de notre navire, la mer était tout entière uniforme, infinie comme un océan. On ne voyait plus mon île »

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