Bangkok : Loy Kratong, fête bouddhique des lumières sur la Chao Praya



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Bangkok - Lieux de l'Art et de l'errance | Martine Estrade | Literary Garden

Le jour de la Pleine Lune de novembre, au passage de la saison des pluies à la saison sèche se déroule Loy Kratong, la fête bouddhique des lumières. Un jour férié pour beaucoup de Thaï, un jour symbolique pour tous.

Sur la ruelle qui mène au débarcadère du Tha Oriental, les étudiantes en uniforme bleu marine du réputé collège de Jésuites ont installé des tables et fabriquent leurs kratongs, leurs offrandes florales. Elles piquent orchidées, œillets d’inde et fleurs de jasmin sur des rondelles de palmier en des pièces montées colorées. Elles y joignent trois bâtonnets d’encens et une bougie de cire jaune, une voile de papier coloré et les vendent tout en emportant précieusement le leur.

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Dès la nuit tombée, jusqu’à l’aube, des milliers de petites embarcations seront lancées au fil de l’eau sur les klongs et la Chao-Praya pour la plus poétique des fêtes boudhiques. L’offrande est descendue sur une perche et, si la bougie ne s’éteint avant de disparaître de la vue de son propriétaire, soucis et malheurs disparaîtront au fil de l’eau et la lumière et la chance baigneront son année à venir. Tous les Thaï, à Bangkok s’adonnent au rituel. A minuit, il faut compter plus d’une demi-heure d’attente patiente pour descendre sa bougie depuis le débarcadère. Durant tout le jour, la fête bat son plein : on abat les palmiers dont on mangera le cœur, met recherché, on fabrique les offrandes en famille, on lâche des petits bâteaux sur la rivière ou bien sur le klong où vit la famille, avec tous les voisins.

Charoeng Krung, la plus vieille rue de Bangkok et Silom road sont envahies d’étals de kratongs . Sur l’un d’eux, écologique, les socles des offrandes sont constitués de meringues et de gâteaux colorés pour éviter que la rivière ne soit polluée pendant des semaines par les tranches de palmier ou de polystyrène.

Beaucoup de Thai vivent sur la rive opposée aux grands hôtels, elle est moins chère, c’est encore la banlieue car le sky train ne la dessert pas encore. Le pont Thaksin qui joint les deux rives est embouteillé depuis le début de l’après midi. De nombreux Thai ont fini plus tôt pour préparer la fête.

Les pirogues à moteur arc en ciel, dites « longue queue » filent, lancées à toutes allure, entre les barges à riz dodelinantes aux toits de temples convoyant les clients des grands hôtels d’une rive à l’autre, et les ferrys bondés qui parcourent la rivière d’une extrémité à l’autre de la ville.

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Elles accostent à pleine vitesse dans une vague d’écume d’un débarcadère à l’autre pour traverser la Chao Praya. Certaines arborent pour la fête une proue décorée d’écharpes boudhiques multicolores, de colliers de jasmin et d’œillets orangés.

Le long de la Chao Praya, les tours hypermodernes alternent avec les baraques sur pilotis en bois ou en teck rouillé, décorées de pots de fleurs par centaines. Les bidonvilles flottants de boat-houses recouvertes de tissus, de zinc ou de planches se mêlent aux péniches noires immenses amarrées les unes contre les autres sur un parking flottant virtuel aux niveaux étagés. Celles chargées lourdement s’enfoncent jusqu’à mi hauteur tandis que les autres surnagent . Prudents , les bateliers sont installés sur leur cargaison : Bangkok n’est plus sûr. Les terrasses des immeubles qui donnent sur la rivière sont entourées de barbelés.

De petits pétroliers et un chantier naval marquent l’horizon vers la mer. C’est par là bas que sont arrivés les Français , au dix-neuvième siècle, sur leurs navires, sur la Chao Praya infestée de moustiques, vêtus de leurs pantalons , gilets et perruques, le visage fardé de blanc sillonné de trainées de sueurs et boursouflé de piqüres. Ils ont laissé une impression monstrueuse passée dans la légende de Bangkok. Bangkok a changé. Du gros village qu’il était alors , il est devenu une ville énorme et fébrile, à l’architecture cancéreuse. Partout ont poussé immeubles clapiers et gratte-ciel mêlés aux bicoques de bois anciennes rafistolées à la terrasse obscurcie par des rangs innombrables de cordes à linge, aux façades décorées de guirlandes de potée d’orchidées et de plantes tropicales.

Vers les klongs, le longs des canaux, à quelques dizaines de mètres à vol d’oiseau du centre, la mangrove d’arbres et de racines, jungle de bananiers et d’oiseaux de paradis, succède aux pagodes dorées de temples d’où émerge la cheminée d’un crématorium polluant et où se pressent les bonzes en robe orangée. La pollution, nauséabonde des canaux nourrit d’énormes poissons-chats noirs et mous par milliers. Près d’un temple, les enfants leur jettent du pain en l’honneur de bouddha, ils remontent à la surface en une volumineuse vague animale répugnante, qui s’ouvre en une multitude de bouches immenses. Près d’eux se baignent des enfants nus. Un martin-pêcheur à la robe bleue et jaune perché sur un pieu des bords du klong contemple le spectacle avec indifférence. Une pirogue à moteur de camion navigue en pétaradant dans un canal minuscule ne laissant qu’une dizaine de centimètres de chaque côté. Elle éclabousse les habitants qui rient ou se recroquevillent dans leurs maisons sur pilotis.

Une belle maison coloniale en teck aux fenêtres à jalousies apparaît au croisement de deux klongs. Autrefois vivait une famille venue d’Europe. Fermée, la bâtisse penche d’un côté. Le teck résiste à l’eau mais pas aux termites, aussi les vieilles maisons de Bangkok s’enfoncent-elles dans l’eau vaseuse des klongs.

Deux femmes ont confectionné une offrande flottante, pièce montée de plusieurs dizaines de centimètres de haut. Elles mangent du riz et des fruits dans des feuilles de bananiers en riant.

Sur le seuil des baraques, les habitants fabriquent leur navire floral. L’air se parfume de l’odeur des boutons de jasmin avivée par la brume humide. Certains ont déjà mis leur kratong à l’eau au milieu des jacinthes d’eau.Une barque à fond plat venue du marché flottant en propose en passant devant les maisons. Un autobus bleu et jaune, bondé, sur un pont de béton rappelle la circulation de la ville, perdue de vue et pourtant toute proche, derrière temples, bicoques, et canaux. Un militaire en treillis fume une cigarette sur le seuil de sa maison.

Inidfférent à la fête un chinois pratique le QiKong sur sa terrasse.

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Abandonnée, l’ancienne maison close du quartier de l’Oriental contraste avec les grands hôtels voisins et l’ambassade.

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Le Lounge of the Authors de l’hôtel Oriental qui accueillit les écrivains du monde entier est inhabituellement désert Les serveurs ont construit un pavillon de jardin en fleurs d’orchidées : guirlandes de fleurs blanches en rideau, toits de corolles violettes disposées sur des branches de fenouil.

Une sculpture de glace trône sur la pelouse, devant la Old Wing, Loy Kratong 2OO4. A la nuit tombée, les lettres géantes s’illuminent de rouge.

Les fleuves des grandes villes disent tout : le jour de Loy Kratong, à Bangkok, la rivière Chao Praya reprend ses droits et sa valeur de symbole au sein d’une ville exaltée par sa croissance économique.

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