Les rêves diffus et les valeurs : Madame Bovary et l’argent



Conférence à l’Université de Buenos Aires le 23/10/2018 (UBA, département des lettres et Philosophie) sous le parrainage de l’Ambassade de France avec le Professeur Raoul Vomero « les rêves diffus et les valeurs » sur le sujet de l’argent dans le roman Emma Bovary avec une extrapolation sur l’argent en psychanalyse.

L'écriture - Psychanalyse et Art | Martine Estrade | Literary Garden

Dans le roman Madame Bovary de Flaubert, l’argent, lien à la réalité et entre les personnages est un organisateur. J’étudierai , à travers cette optique le roman Madame Bovary de Gustave Flaubert et le rôle de l’argent chez Emma Bovary et les autres personnages du roman.
Je ferai ensuite un bref résumé des valeurs symboliques de l’argent en psychanalyse.

Les rêves diffus d’Emma

Madame Bovary est un roman réaliste dans lequel l’argent et ses mesquineries tiennent une grande place sinon organisatrice dans la description des relations humaines. Et pour cause, l’argent est le seul vrai lien d’Emma la rêveuse à la réalité.

Emma porte un joli prénom car, au niveau phonique, donc au niveau inconscient, Emma s’entend comme le passé révolu du verbe aimer , (elle « aima »). Ce prénom se trouve bien mal assorti au nom de son époux, Bovary, un nom lourd qui évoque le bœuf, un animal servile sous le joug, un animal qui fut jadis l’objet du troc marchand dans les sociétés primitives agricole où pécus signifiait le troupeau échangeable comme monnaie, il faut rappeler qu’Emma est la fille du fermier Rouault. Le bœuf ou la vache est enfin le symbole de la campagne normande, la terre-mère, de Flaubert à laquelle il voue un attachement ambivalent aussi passionné qu’haineux, peut être d’origine maternel. Flaubert réutilisera la racine bovine ultérieurement dans le nom de Bouvard (Bouvard et Pécuchet)

Le choix de Charles Bovary est déjà matériel, instrumental et contingent : et Emma (n’)aima pas.

Bercée dans son adolescence passée au couvent de « lieux communs » romantiques « elle n’aimait la mer qu’à cause de ses tempêtes, et la verdure seulement lorsqu’elle était clairsemée parmi les ruines », plus sentimentale qu’artiste , « cherchant des émotions non des paysages », Emma Bovary est moins caractéristique d’une époque que d’une pauvreté affective, d’une incapacité à pulsionnaliser ses excitations, ayant rencontré un partenaire de vie aussi incapable de vivre un lien avec une femme qu’elle avec un homme.

Emma éprouve un besoin vital, de se sentir reconnue par un homme la désirant, mais la faille narcissique est profonde. La sexualité en actes, compulsionnelle, devient alors l’unique moyen de décharger l’excitation, mais pas de se sentir exister. Emma sacrifie à un principe de plaisir que rien ne limite, de plus en plus au service d’une destructivité mortifère. Elle fonctionne dans la répétition, sans autre issue, jusqu’à la mort.

La régression anale est le palier de fixation auquel immédiatement toute frustration libidinale peut recourir. Avoir des objets, vivants ou inanimés, posséder du pouvoir, toutes choses intimement liées à une pulsion anale dominante peut remplacer, si cela ne s’est pas fait d’emblée, le temps de l’amour. Ce que l’on « possède » cache ce qui manque à « être ».

La relation fusionnelle, sans la médiation du langage et sans rupture, constitue le piège dans lequel se réfugie le désir d’Emma, celui d’un sein inépuisable. Par ce schéma, on retrouve les conduites addictives en tant que plaisir immédiat et intemporel. Cependant, cet enfant qui se nourrit à mort de la mère, revient à un état de dépendance. La possession qui se fétichise oublie totalement que l'argent sert à s'en servir, à accéder à son désir et non à s’y asservir.

Au stade oral, le nourrisson ne peut faire la distinction entre lui et sa mère. Dans cette forme de fusion, toutes les sensations de plaisir/déplaisir s’appréhendent en termes d’avoir. Avoir la mère en soi, avoir faim, soif, chaud, froid…, l’ensemble de l’univers se représente comme un sein que l’on voudrait inépuisable. L’angoisse du manque conduit à représenter les fantasmes liés à ce stade sous la forme de désirs d’incorporation, de désirs de « mordre la vie à pleines dents », de posséder sans limites. Déplacés sur l’argent ils s’expriment par une boulimie de gains et par la peur de manquer… Le surendettement se lie à une fragilité du Moi totalement débordé par l’éprouvé du manque.

L’ensemble des relations d’Emma échappe au monde réel car au fond le seul vrai amour qu’elle a eu, ou du moins qu’elle voulut avoir, est dans ses lectures. Emma est romantique en ce sens qu’il lui manque toujours des mots pour exprimer la richesse de ses pensées. Dans l’aventure avec Rodolphe, elle revit des mots appris et elle entame, en même temps que son adultère, une activité liée à l’écriture. Le point le plus haut du désir d’Emma n’est peut-être que celui de Flaubert, que l’on sait hanté par le drame de l’écriture.

Prisonnière d’un mariage avec un homme médiocre et d’une vie morne loin des fastes parisiens auxquelles elle aspirait, incapable de supporter l’écart entre ses rêves erratiques et la réalité, Emma Bovary commence sa descente aux enfers et se compromettra par de multiples liaisons et une folie dépensière. Jusqu’à l’issue fatale .La déception amoureuse est donc celle de quelqu’un qui cherche un amour qu’il a vu décrit dans les livres et qui souffre de ne pas le trouver et qui ne peut le trouver parce qu’elle cherche inconsciemment aussi la mère perdue et idéalisée de sa toute petite enfance.

« Alors elle se rappela les héroïnes des livres qu’elle avait lus, et la légion lyrique de ces femmes adultères se mit à chanter dans sa mémoire avec des voix de sœurs qui la charmaient"

Le drame d’Emma Bovary est que la réalité ne soit pas conforme à ses rêves et lectures romanesques. L’argent vient rappeler la réalité et l’écart au rêve, la désillusion par rapport au désir d’un sein inépuisable pourvoyeur de tous les plaisirs dont l’avide Emma rêverait pour satisfaire sa gourmandise et sa sensualité et au delà, pour retrouver l’objet primaire dont elle ne peut se séparer.

Elle a voulu en épousant Charles Bovary, médecin, échapper à sa condition sociale, d’Emma Rouault (un nom bien terrien) , fille de fermier. Elle nourrit des goûts de luxe, voudrait faire « la parisienne », devenir une femme du monde. Elle essaiera, tout au long du roman de mouler son corps et son esprit sur une image idéale d’elle même forgée à l’adolescence dans ses lectures, un faux-self .

L’héroïne affirme un refus déraisonnable, une incapacité à vivre selon ses moyens. La prodigalité d’Emma Bovary quête le regard et l’admiration de l’autre en brûlant l’argent, pour montrer ainsi son pouvoir, de type phallique, sur le monde, briller pour « être », la mascarade au lieu de la féminité. Emma ira jusqu’à s’endetter et se ruiner pour montrer et être prodigue dans un sentiment d’inexistence, Contrainte de tout vendre, ses biens et son honneur. Elle se suicidera après avoir tout perdu. Et jusque lors de son agonie, un mendiant, l’aveugle, viendra hanter ses derniers instants. L’emballement maniaque, défense contre la dépression conduit Emma à se jeter sur l’avoir pour se donner consistance, pour s’imaginer omnipotente, il s’agit d’une régression, l’expression d’un déficit identitaire, lié probablement aux effets pervers d’une autonomie trop angoissante.

Flaubert attache une importance toute particulière à suivre le progressif endettement d'Emma, à tel point qu’il avoue lui-même se perdre dans les comptes de son personnage ! A travers ce rapport à l’argent « principe de réalité » qu’Emma refuse jusqu’au bout, il affirme aussi le désir radical de vivre dans le rêve et la fiction de son héroîne,, miroir peut-être de celui de l’écrivain. Chez Emma , on peut imaginer que cette avidité orale est liée aussi aux deuils non faits, dont peut être le deuil de la mère décédée. Cette dernière est très peu évoquée dans le roman sauf au cours de la liaison amoureuse avec Rodolphe, premier amour d’Emma qui la réactualise : « elle l’entretenait de sa mère, à elle, et de sa mère , à lui. Rodolphe l’avait perdu depuis vingt ans…( lui disant : )Je suis sûre que là-haut, ensemble, elles approuvent notre amour »

L’argent représente ce fantasme de la relation primaire et totale à la mère.

En effet, au stade oral, phase la plus primaire du développement, le nourrisson se sent particulièrement démuni et impuissant. Sa dépendance le conduit à rêver d’un " sein " inépuisable, pourvoyeur permanent de lait, qui lui permettrait d’échapper au manque. Le paradis en quelque sorte. Ce type de fantasmes oraux se retrouve chez les gens qui courent après l’argent ou qui veulent brasser des sommes gigantesques.

L’oralité peut être agressive, marquée d’analité quand elle enserre, retient, ne lâche pas l’objet.

Par ailleurs, la relation anale, considérée comme le prototype de la castration, de la perte de quelque chose au profit d’un gain d’amour, laisse augurer d’autres pistes pour le sujet si la perte est une perte sans ce bénéfice du gain d’amour.

Comme substitut de ce phallus que tout le monde cherche et que personne n’attrape, l’argent permet de dénier la castration symbolique, de ce fait de réengendrer le fantasme de toute puissance, … il renforce ainsi « un narcissisme incapable de se remettre en question.

Si l’argent est vécu comme substance magique qui évoque puissance et pouvoir, il est aussi ce par quoi un sujet va s’estimer : « je vaux tant, ou encore, je vaux plus que ça « ; cette double manifestation de l’argent donne à cet objet, une magie: La magie de l’argent, c’est ce pouvoir sur les choses manifestant l’être mais lié à l’avoir. La magie tient de l’idée qu’avec de l’argent on pourrait tout faire. Mais pas tout « être »… et l’argent ne saura résoudre le sentiment d’inexistence.

Le contexte socio-économique du Roman Madame Bovary est celui de la Révolution industrielle, modification du rapport à l’argent : fortunes rapidement amassées ou tout aussi vite perdues ; fortunes anciennes brutalement disparues ; disparités des salaires et des rentes, etc. D’autre part, l’accession au pouvoir politique et économique de la classe bourgeoise s’accompagne d’un système de valeurs qui supplante tous les autres : l’avoir prime sur l’être et l’argent s’impose comme un moyen. Le contexte économique dans lequel se déroule le roman est celui du capitalisme industriel, de la spéculation, du Paris de Haussmann , du développement industriel et de la fabrication en série et des tous nouveaux « grands magasins » qui attirent une clientèle fascinée par l’étalage des marchandises ( Au bonheur des Dames roman de Zola le décrit) . La fabrication en série prend son essor et la publicité naissante encourage la pulsion d’achat. Emma se ruine en cédant aux sollicitations du tentateur Lheureux » marchand de nouveautés » : « elle n’avait pourtant qu’à commander, et il se chargeait de lui fournir tout ce qu’elle voudrait, tant en mercerie que lingerie, bonnetterie que nouveautés.. »

Flaubert mettra en concurrence deux mondes : le monde romantique et sentimental, peuplé d’être incapables de s’inscrire dans la réalité de la société (Emma, Charles, Justin), et le monde réel, peuplé de profiteurs cyniques (Homais, Lheureux, Guillaumin, Rodolphe).

Une focalisation sur l’intime et la vie psychique où les objets eux mêmes parlent

Le roman est dépourvu d’événements, au sens anecdotique du terme, ce qui met davantage en valeur des « épisodes » comme le bal ou la rencontre avec ceux qui deviendront les deux amants d’Emma, véritables « épisodes féconds » pour le déroulement clinique. Cette discrétion en face des faits s’accommode parfaitement avec le regard d’Emma. Ce n’est pas qu’il ne se passe rien dans sa vie, c’est que sa langueur de femme insatisfaite et ses poussées de rêve lui font récuser l’existence pour la vivre sur un autre plan, intime et imaginaire, celui de sa souffrance psychique et la rater d’un point de vue réaliste.

Le monde des aristocrates apparaît lors de l’invitation au château de la Vaubyessard comme un univers d’une autre nature que le sien où « le sucre en poudre lui parut plus blanc qu’ailleurs ». « c’était une existence au-dessus des autres, entre ciel et terre, dans les orages, quelque chose de sublime. Quand au reste du monde, il n’existait pas.». Elle envie « les existences tumultueuses des riches », qu’elle idéalise à partir des lectures romanesques dont elle s’est nourrie à l’adolescence, fuyant dans l’imaginaire et la boulimie d’objets.

Cet épisode du bal marque une césure dans sa vie , il « avait fait un trou dans sa vie, à la manière de ces grandes crevasses qu’un orage, en une seule nuit, creuse quelquefois dans les montagnes ». Après cet épisode, les « convoitises d’argent », les sensualités du luxe » et les rêves d’ascension sociale nourrissent ses frustrations et son addiction aux objets.

Le roman fait parler les objets. Emma est avide d’objets qui rempliraient son existence et lui donneraient l’illusion de vivre à la hauteur de ses fantasmes et elle les manipule. Les objets sont achetés, offert, jetés, oubliés , perdus, trouvés, et finalement le plus souvent abandonnés car ils se révèlent impuissants à combler ses manques à être….Leur présence est massive et ils prennent place dans tout un réseau d’échange et de significations.

Les objets aussi sont divisés chez Emma Bovary en deux catégories, ceux de la réalité , comme son assiette sur laquelle lui semble servie « toute l’amertume de l’existence » et ceux du rêve et du désir, tel le plan de Paris dont elle suit les boulevards « du bout de son doigt ». Paris, cet ailleurs absolu et qui la fascine ,« dont le nom flamboyait à ses yeux jusque sur l’étiquette de ses pots de pommade »

L’objet désigne ainsi métonymiquement celui auquel il appartient et il peut ainsi acquérir une valeur érotique tel « le porte-cigare que Charles ramasse sur la route, tout bordé de soie verte » , tout pareil à celui de Rodolphe, objet de contemplation lié au souvenir ébloui du bal à la Vaubyessard , cet événement qui fut le catalyseur de ses rêves de richesse et de son désir d’ascension sociale. Ce porte-cigare revient de façon obsédante dans le récit car Emma s’en saisit comme d’une relique qu’elle prend plaisir à contempler, à partir de laquelle elle se raconte des histoires, sorte d’objet-fétiche ou phallique. II témoignerait d’une vie amoureuse et elle l’imagine offert par une maîtresse et c’est pourquoi, identifiée à la femme rivale, elle en achète un « tout pareil » à Rodolphe.

L’amour de Charles pour Emma s’attache également à ses objets « il ne pouvait se retenir de toucher continuellement à son peigne, à ses bagues, à ses fichus ».

Les objets représentant les personnages forment un système d’analogies et de différences. Par exemple, le nerf de bœuf » de Charles, s’oppose à la « cravache à pommeau de vermeil » de Rodolphe.

L’argent va organiser les rapports entre les personnages du roman.

Le père Rouault, père d’Emma, est décrit par Flaubert comme un sensuel un peu paresseux, complice intérieurement du goût de sa fille pour la rêverie, également dépensier ayant des goûts de luxe, mais d’un luxe à sa portée, il perd lui aussi de l’argent par manque de travail en dépit d’un talent pour le commerce, et met en scène sa vie rêvée :

« Le père Rouault n’eût pas été fâché qu’on le débarrassât de sa fille, qui ne lui servait guère dans sa maison. Il l’excusait intérieurement, trouvant qu’elle avait trop d’esprit pour la culture, métier maudit du ciel, puisqu’on n’y voyait jamais de millionnaire. Loin d’y avoir fait fortune, le bonhomme y perdait tous les ans ; car, s’il excellait dans les marchés, où il se plaisait aux ruses du métier, en revanche la culture proprement dite, avec le gouvernement intérieur de la ferme, lui convenait moins qu’à personne. Il ne retirait pas volontiers ses mains de dedans ses poches, et n’épargnait point la dépense pour tout ce qui regardait sa vie, voulant être bien nourri, bien chauffé, bien couché. Il aimait le gros cidre, les gigots saignants, les glorias longuement battus. Il prenait ses repas dans la cuisine, seul, en face du feu, sur une petite table qu’on lui apportait toute servie, comme au théâtre »

La première femme de Charles avait été choisie par la mère de ce dernier parce qu’elle était riche. Il découvrit, lors de son veuvage, qu’elle n’avait plus d’argent : celui-ci ayant disparu avec la fuite de son notaire malhonnête à qui elle le confiait et le choc lié à cette perte ayant provoqué la mort de cette femme.

Le père de Charles avait vécu sur la fortune de sa femme qui tentait sans succès de limiter ses dépenses et dont il consomma rapidement la dot. Charles Bovary, élevé très pauvrement fut envoyé à l’école le plus tard possible pour faire des économies. Le caractère dépensier, jouisseur égoïste et irréaliste du père de Charles est proche de celui d’Emma et en ce sens Charles Bovary a choisi sa femme sur le modèle de son père.

Madame Bovary mère est le personnage réaliste et pragmatique du roman. Dès le départ elle trouve à Emma « un genre trop relevé pour leur position de fortune » Elle incrimine ses romans , ces « mauvais livres » qui l’empoisonnent alors que « des occupations forcées » et « des ouvrages manuels » la guériraient plus sûrement. « Si elle était comme tant d’autres contrainte à gagner son pain, elle n’aurait pas de ces vapeurs-là, qui lui viennent d’un tas d’idées qu’elle se fourre dans la tête, et du désoeuvrement où elle vit.»

Son fils est sous son emprise dont seul le dégagera son amour pour Emma quand il fait à nouveau une procuration inconsidérée sur ses biens à sa femme qui le ruine après que sa mère lui ai fait déchirer la première) .

Dans le couple, Charles Bovary et Emma, projettent chacun sur l’autre leur narcissisme défaillant, de manière différente toutefois.

Charles Bovary est le plus réaliste avec l’argent. Il sait que celui ci a des limites et est obtenu par le travail, il n’est pas avare mais ne dépenserait pas celui qu’il n’a pas. Mais pris dans la relation fusionnelle à sa femme, après l’avoir été dans celle à sa mère, il ne sait pas lui poser de limites et ne lui refuse rien, ne s’autorisant pas à penser même à autre chose qu’à elle :. « Charles se demanda plusieurs fois par quel moyen, l’année prochaine rembourser tant d’argent ; et il cherchait, imaginait des expédients, comme de recourir à son père ou de vendre quelque chose…Il se reprochait d’en oublier Emma ; comme si, toutes ses pensées appartenant à cette femme, c’eût été lui dérober quelque chose que de n’y pas continuellement réfléchir »

La relation fusionnelle, sans la médiation du langage et sans rupture, constitue un piège dans lequel se réfugie le désir. Par ce schéma, on retrouve les conduites addictives en tant que plaisir immédiat et intemporel. Cependant, cet enfant qui se nourrit à mort de la mère, revient à un état de dépendance. La possession qui se fétichise oublie que l'argent sert à s'en servir, à accéder à son désir.

Charles, émerveillé de ce que lui donne à voir Emma d’une féminité phallique de surface, lui renvoie une admiration aussi éperdue que... désespérément incapable d’une capacité identificatoire féminine.

La phallicité brillante qu’il recherche pour se compléter en un mode fétichiste, il croit se l’approprier grâce à Emma ; mais il ne représente rien qui puisse, à elle, faire oublier son manque à être. Jamais apaisée, dans une course sans fin, habitée d’une excitation que rien ne peut limiter, Emma ne peut décharger celle-ci qu’en actes... La vie, celle qu’elle a connue avec son père, puis son mari, n’est pour elle que chute d’un monde virtuel idéalisé, dans une réalité fangeuse, anale. Et ce seront aussi les apparences phalliques qui l’attireront chez ses partenaires.

Rodolphe Boulanger est le propriétaire du château de la Huchette près de Yonville. Dès la première fois qu’il entre en scène il a l’air riche. Il est intelligent, froid, égoïste, pragmatique et perspicace et suit son intérêt. La rencontre avec Rodolphe est une césure dans la vie d’Emma, parce qu’elle va alors suivre ses sentiments. Le narrateur présente avec ironie le discours de séduction de Rodolphe, tissu de clichés au service d’une rhétorique de la persuasion.

Léon Dupuis, Clerc du notaire Guillaumin, pensionnaire du Lion d'Or et locataire d'Homais

Il connaitra d’abord avec Emma, à son arrivée à Yonville, une entente intellectuelle et affective , « un commerce continuel de livres et de romances. » Plus tard, il vivra avec elle une liaison érotique, excessive et à la fois vide, puisqu’elle repose sur un romantisme obsolète et détruit les forces vitales des amants et leur lien à la réalité. Ainsi Léon voit-il celle qui est sa maîtresse : « Elle était l’amoureuse de tous les romans, l’héroïne de tous les drames, le vague « Elle » de tous les volumes de vers. »

Tous deux rêvent comme l’indique le début de leur liaison : « ils venaient de se joindre les mains ; et le passé, l’avenir, les réminiscences et les rêves, tout se trouvait confondu dans la douceur de cette extase »

Emma se perd ensuite autant dans sa dépendance sexuelle à Léon que dans un dégoût réciproque. Elle s’abîme dans un univers de mensonges – non seulement vis-à-vis de son mari et du clerc de notaire, mais aussi vis-à-vis d’elle-même, tandis que Léon néglige son travail, sans pour autant s’engager avec elle.

Ironie encore de Flaubert, les deux amants merveilleux d’Emma ont des noms d’une grande banalité (Dupuis, Boulanger). Ils se montrent tous deux lâches et n’accordent pas leur aide à Emma pour rembourser la dette qui l’amènera à se suicider. Tous deux dorment lors de son enterrement. Selon Emma, ces derniers devraient tout faire pour éviter sa ruine au point qu’elle accuse Rodolphe de ne pas l’avoir aimée lorsqu’il lui refuse un prêt

L’usurier Lheureux s’enrichit progressivement aux dépends d’Emma et de son irréalisme, il lui prête à un taux important, de façon stratégique et sera responsable de la ruine des Bovary. L’amour de l’argent l’anime et Il est le seul à porter un nom où passe un souffle de vie, il se nomme Lheureux. Il est lié au notaire à qui il prête également de l’argent et avec lequel il fait des affaires. C’est lui qui propose à Charles qu’Emma, en utilisant une procuration, prenne la charge de toutes les affaires de son mari ce que ce dernier accepte.

« à force d’acheter, de ne pas payer, d’emprunter, de souscrire des billets puis de renouveler ces billets, qui s’enflaient à chaque échéance nouvelle, elle avait fini par préparer au sieur Lheureux un capital, qu’il attendait impatiemment pour ses spéculations »

Le notaire Guillaumin (le nom provient du prénom germanique Wilhelm, composé des mots de l’ancien haut allemand willio“volonté” + helm “casque ») cherche dans un rapport de domination à exploiter sexuellement la pénible condition financière d’Emma, menacée de la saisie des biens de sa famille.

« Maître Guillaumin la connaissait, étant lié secrètement avec le marchand d'étoffes, chez lequel il trouvait toujours des capitaux pour les prêts hypothécaires qu'on lui demandait à contracter.

Donc il savait (et mieux qu'elle) la longue histoire de ces billets, minimes d'abord, portant comme endosseurs des noms divers espacés à de longues échéances et renouvelés continuellement, jusqu'au jour enfin où, ramassant tous les protêts, le marchand avait chargé son ami Vinçart de faire en son nom propre les poursuites qu'il fallait, ne voulant point passer pour un tigre parmi ses concitoyens. »

Le rapport à l’argent du notaire renvoie à des fantasmes de domination et de soumission. Si Emma a absolument besoin d’argent, il lui faut se plier à sa volonté et se soumettre à ses désirs.

Dans ce système, il cherche à avoir l’autre, à posséder Emma . C’est un type de rapport d’emprise ou si l’on ne possède pas l’autre, on craint de se faire avoir par lui. Ce type de rapport plonge ses racines dans la relation archaïque mère-enfant au moment où le petit être se sent complètement soumis et rêve d’inverser le rapport de force. Il fantasme de régir complètement les désirs de sa mère, de la dominer et de l’asservir à sa propre volonté, ce que le notaire déplace sur Emma.

À ce niveau (anal) l’enfant désire inverser les rôles pour devenir la personne toute-puissante à la place de l’objet.

Et le notaire Guillaumin et l’usurier Lheureux, fonctionnent dans un registre anal et les angoisses liées à ce stade sont représentées sous la forme d’un danger d’être vidé, d’être asservi, exploité. Ce qu’ils renversent sur l’autre en le lui faisant subir. Au stade anal, en même temps que l’enfant progresse dans sa perception de la différence entre soi et l’autre il forme le désir de maîtriser cet autre qui lui semble tout-puissant. C’est la période du « non », de la constipation; le refus de donner ce que la mère semble désirer ardemment est un moyen d’agir sur elle, de la frustrer, comme l’inverse serait un moyen de la combler…

Le pharmacien Homais, chantre du progrès économique, accède à la réussite sociale à l’aide d’appuis, notamment celui de la presse qu’il manipule, et de mensonges. Il pratique illégalement la médecine et fait de la concurrence déloyale à Charles Bovary. Ses sympathies politiques varient en fonction de ses intérêts et le roman s’achève sur sa réussite sociale : la Croix d’Honneur qu’il briguait lui est accordée. D’un orgueil foncier, il fait peindre partout son nom en lettres d’or, signe d’une fixation au stade anal et d’une analité non élaborée laquelle se traduit également par le désordre perceptible dans l’accumulation de produits dans son magasin, dans son goût du commerce plus que de la santé, la profusion de réclames, dans son appétit de possession et de pouvoir sans limite. Son avarice est perceptible très rapidement, quand, nommé parrain de la petite Berthe, fille des Bovary, il offre comme cadeaux de baptême des produits périssables et sans doute périmés de son magasins dont du sucre candy qui traînait dans un placard. Après avoir eu un comportement flagorneur vis à vis de Charles et Emma à leur arrivée et avoir accepté le parrainage de leur fille, il interdira après leur décès à ses enfants de fréquenter Berthe Bovary « vu la différence de leurs conditions sociales »

C’est chez lui qu’Emma trouvera l’arsenic avec lequel elle se tuera.

Justin , un parent pauvre du pharmacien Homais qui l’utilise comme domestique auprès de ses enfants, sera le seul à aimer sincèrement Emma d’un amour désintéressé et à pleurer sur sa tombe.

Berthe Bovary, enfant du couple de Charles et Emma n’est pas aimée de sa mère qui la trouve laide d’emblée et aurait préféré un garçon, Le choix de son prénom vient du bal à la Vaubyessard où elle avait entendu la Marquise appeler Berthe une jeune fille, la nomination de sa fille était encore une façon pour Emma de se croire marquise. Elle la place en nourrice chez mme Rolet et s’en désintéresse. A sa mort , lorsqu’elle réclame sa fille pour lui dire adieu, l’enfant pense que sa mère la fait venir dans sa chambre comme « les matins du jour de l’an ou de la mi-carême …où … elle venait dans le lit de sa mère pour y recevoir des étrennes ». Le peu de lien d’affection se manifestant là encore, par de l’argent. Après la ruine de ses parents Berthe recueillie par une tante pauvre sera contrainte de travailler comme ouvrière dans une filature ( signe de l’industrialisation grandissante de la société ) et sera mise au ban de la société des notables pour sa basse condition sociale.

Madame Rolet, la nourrice, est une femme pauvre et cupide. Elle gardera Berthe et recevra les lettres des amants qu’elle remettre à Emma qui la paiera pour cela, Elle exécutera les ordres et les commissions de cette dernière sans états d’âme et contre rétribution.

Valeurs symboliques de l’argent en psychanalyse

Parce qu’il est si important dans le roman, il m’est apparu intéressant de faire un bref rappel des valeurs symboliques de l’argent en psychanalyse.

L’argent renvoie à nos affects les plus profonds , à nos désirs, à nos fantasmes . Il est à la fois le symbole de ce que l’on veut acquérir et de ce que l’on veut faire avec l’argent et le produit le plus intime et siège de tous les affects du genre humain

Freud a parlé de l’argent dans la cure et de la nécessité du paiement. Il a relié la symbolique de l’argent à l’érotisme anal, notamment autour de la cure de l’homme aux rats, et donc à tout ce qui se situe du côté du don, de la rétention, de la maîtrise, de l’avarice, (1908, « Caractère et érotisme anal »)

Ses successeurs développeront l’aspect symbolique et en France Ilana Reiss Schimmel et récemment Alain Gibeault ont publié sur ce thème

L’évolution dans l’humanité (la philogénèse) se retrouve dans le développement chez l’enfant (l’ontogénèse). L’être humain est passé du troc avec échange de produits à l’impression de monnaie comme symbole, ces monnaies étant frappées elles mêmes du symbole de l’autorité A l’époque agricole, les échanges se faisaient avec des animaux comme le bœuf , des terres , des choses concrètes etc . Pécus qui signifie le troupeau a ainsi donné en français l’adjectif « pécuniaire ».ou le substantif « le pécule »

Chez Flaubert, chez qui Les noms propres ont une importance fondatrice, Bovary évoque le bœuf, à la fois marchandise d’échange et animal sous le joug.

Parce que les sociétés primitives attachaient de l’importance à la matérialité concrète, les objets d’aspect brillants furent considérés comme de valeur et on frappa les monnaies dans des métaux plus ou moins précieux.

Les enfants échangent dans la cour de récréation, des objets de valeur matérielle très différentes mais qui ont pour eux une valeur narcissique et affective. .Ils commencent par aimer ce qui brille. Puis l’argent narcissique prend une valeur dans la relation à autrui et l’échange avec les parents (comme argent de poche, récompense.). Dans l’échange don contre don, ou il s’agit de donner, de recevoir, de rendre on ne donne alors plus des animaux mais des pièces d’échange la monnaie.

Dans l’évolution de l’enfant, il se passe des étapes pour que l’argent ait une valeur économique et symbolique.

En effet, au stade oral, phase la plus primaire du développement, le nourrisson se sent particulièrement démuni et impuissant. Sa dépendance le conduit à rêver d’un " sein " inépuisable, pourvoyeur permanent de lait, qui lui permettrait d’échapper au manque. Le paradis en quelque sorte. Ce type de fantasmes oraux se retrouve chez les gens qui courent après l’argent ou veulent brasser des sommes gigantesques comme Emma. Dans l’inconscient, l’argent est pour eux l’équivalent d’un sein toujours à disposition. L’avare, lui, retient son argent, il ressemble plutôt au jeune enfant dont la rétention obstinée, lorsque sa mère l’assoit sur le pot, le protège contre la menace imaginaire d’être complètement vidé de sa substance (chez Homais, Guillaumin) Ce qui renvoie au stade anal décrit par Freud

Le développement achevé concernera ceux des individus qui auront intégré ce que la psychanalyse appelle le complexe d’Œdipe. Autrement dit : ceux qui ont accepté un certain nombre d’interdits considérés, dans notre culture, comme la loi du père. Au stade du complexe d’Œdipe, l’enfant se trouve confronté à la différence des sexes et des générations. Il apprend à admettre les limites de ce qui est possible tout en cherchant non pas à les transgresser, mais à les reculer pour y loger quand même son désir… Simultanément, il intériorise la notion d’altérité. Son désir doit se confronter au désir de l’autre. Plus tard, l’argent va devenir le moyen de s’arranger de cette altérité, de passer contrat avec l’autre, de négocier. A ce moment, l’argent devient un instrument d’échange et de communication. On accepte le prix à payer. On accepte que telle chose vaille tant, ni plus ni moins, comme on accepte que le monde ne soit pas régi par nos désirs. Charles est le plus près de cette position.

Freud insista sur le rapport entre les selles et l’analité et le déplacement sur l’argent. Il fit un lien entre « retenir ses selles » et toute possession que l’être humain peut avoir telle la « boite à trésor » de l’enfant. Ce qui est anal aboutit à une représentation inverse exactement ainsi les selles humides, ternes et odorantes deviennent un trésor précieux et « sans odeur » . un proverbe français dit « l’argent n’a pas d’odeur » et l’inversion signifie ce rapport ancien.

Dans un premier temps la possession conforte l’omnipotence ensuite l’enfant acceptera progressivement de partager, de négocier avec autrui.

Les selles pour l’enfant peuvent être conservées (constipation, rétention) ou données ou refusées à la mère.

L’enfant, d’abord sur le pot , va aller dans un lieu fermé , « les toilettes « ou le « cabinet » ( même terme pour le cabinet du psychanalyste) et en ce lieu, il se sentira protégé et se constituera en individu séparé de sa mère.

A la phase anale, il apprend qu’il peut faire un cadeau et faire plaisir à la mère ou à son substitut la nourrice, mais aussi se faire plaisir dans la rétention et garder pour lui ses produits les plus intimes , constipation volontaire qui peut être prélude à l’avarice.

Il existe alors des pathologies liées à l’argent comme l’avarice (l’Avare de Molière et Harpagon avec la tirade sur sa cassette) mais aussi la prodigalité de celui qui quête le regard et l’admiration de l’autre en brûlant l’argent, montrant ainsi son pouvoir sur le monde en se montrant le plus beau et le plus puissant. La prodigalité, celle d’Emma dans le roman est liée dans l’imaginaire au fait que l’argent représente pour elle la puissance phallique et le pouvoir.

A l’inverse, l’avare tel Harpagon de Molière, perd son identité s’il perd sa cassette ( on lui coupe la gorge, sensation de vide absolu, enterré, mort, dans le vide) ce qui l’amène à s’enfermer dans la solitude avec ses biens en s’identifiant à ce qu’il possède dans sa cassette. Il est dans un rapport où l’argent symbolise la toute-puissance, grâce auquel tout serait possible. Si on le vole, l’impuissance est totale.

Ce rapport de la toute puissance à l’impuissance, tout être humain peut le vivre.

Le recours à la toute-puissance a lieu pour se défendre du sentiment d’impuissance, c’est à dire de ne pas être investit dans sa personne.

Cependant, en s’enrichissant de façon ultra rapide (loto, bitcoin..) , on peut avoir un sentiment de toute-puissance au détriment du sentiment d’exister dans une spirale où l’on désire avoir toujours plus car une chose matérielle ne peut pas remplacer l’investissement de soi-même.

Dans la prodigalité, il y a un risque de sacrifice total de soi même par rapport à autrui.

Au cours de l’évolution favorable de l’être humain par rapport à l’argent, il s’agit de donner de la valeur à ce que l’argent symbolise au départ : un tiers séparateur pour négocier le rapport toute puissance/ impuissance, aider à sortir de la toute puissance infantile, négocier la relation à autrui, contribuer à l’intériorisation d’un tiers paternel, à la fois protecteur et interdicteur, qui transmettra les valeurs fondatrices essentielles de la civilisation. La place possible du père pour l’enfant et lui permettra de passer de la valeur pulsionnelle et infantile de l’argent à la réalité sociale et à ses valeurs.

La demande de cadeaux et d’argent des enfants cache leur demande d’amour. Les dettes infantiles non résolues vis à vis de l’amour des parents dans la fratrie connaissent des paroxysmes lors des successions réveillant les rivalités fratricides.

Chez l’adolescent, l’argent symbolise au mieux l’autonomie et le desir d’indépendance dont il n’a pas les moyens matériels et psychiques, mais il est aussi une toute-puissance phallique vis à vis des pairs et des pères (par exemple achat des marques).

Chez le bébé, au stade l’oral, le sein est intarissable. Dans l’oralité, l’argent symbolisera l’amour de la mère qui protège, donne le toit , l’alimentation. Plus tard, quand l’argent est hors circuit ou disponible sans compter, il donne lieu au fantasme de sein inépuisable.

Les angoisses de perte et les deuils infaisables peuvent pousser vers des conduites addictives à l’égard de jeux d’argent, mouvements d’emballement maniaque ou de dépression liés à une oralité cannibalique réveillée par les deuils non faits.

Grâce à l’éducation, l’enfant comprendra que l’argent n’est ni magique, ni infini, qu’il connaît des limites et qu’il est lié au travail.

Freud le soulignait, d’importants facteurs sexuels jouent un rôle dans l’argent et on traite du sujet avec la même pruderie et la même hypocrisie que lorsqu’il s’agit de la sexualité.

Notre relation à l’argent est dominée par des fantasmes élaborés et au stade oral et au stade anal.

Dans l’oralité, la demande est insatiable, tandis que l’analité met des limites , négocie la dépendance et a les moyens d’agir.

La question du don amène à souligner la polysémie du terme « don donner le sein/ l’amour, la mort/ une conférence/ le change / donner son temps. Il n’y a pas de don sans attente de retour , le retour est inscrit dans le don , il n’y aurait de don que s’il n’était pas ressenti comme don. Le don seul n’existe pas , il n’existe que l’échange. S’il y a un ressenti de jouissance soit pour soi soit pour l’autre , il existe une attente d’affection et d’amour.

On peut considérer l’utilisation de l’argent comme une fonction liée aux progrès de la symbolisation, dans sa richesse de significations variées (transgression, séduction) concernant la satisfaction du désir sexuel actuel et infantile que le roman Madame Bovary nous montre bien.

Martine vautherin estrade

Aout 2018


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