Petites voix des murs



Les publicités des murs s’impriment dès le plus jeune âge et rendent vivante l’évocation en canevas tissé de l’enfance

Poésie | Martine Estrade | Literary Garden

Liste

Il y avait des lettres géantes dans le tunnel entre deux stations de métro.
- Du bo, du bon, dubonnet

Il y avait la bouteille verte qui s'enfuyait à l'arrière de l'autobus vert foncé, dessous c'était écrit
- Ferrier c'est pou

Il y a avait une autre bouteille ronde, sexy et orange, qui se trémoussait sur l'écran de télé juste avant le journal du soir
- orangina, secouez moi, secouez moi

Il y avait la bande de jeunes qui machait du chewing-gum dans l'extase et l'exaltation
- Fraicheur de vivre, Hollywood chewing-gum

Il y avait la musique des andes et des paysages somptueux
- les chasseurs de paradis, un jour ils ont découvert bounty

Il y avait la lessive, celle qui lavait plus blanc, plus blanc que quoi ?
- Ariel lave plus blanc

Il y avait les pâtes
- des pates, des pates oui mais des panzanis

Il y avait les petits pois
- on a souvent besoin d'un petit pois chez soi

Il y avait le dentifrice sécurisant
- signal protège vos dents

Il y avait les compagnies aériennes
- UTA va où vous rêvez d'aller

Il y avait la barre de chocolat mars
- Un coup de barre, Mars et ça repart

Il y avait la machine à laver Vedette qui lavait mieux que la mère Denis
- Vedette lave mieux que vous

Texte : Marcadet-Poissonniers

Quand je prenais le métro seule étant enfant, c'était l'aventure. Je retournais à Montmartre où j'avais grandi jusqu'à mes 5 ans. Montmartre qui me semblait la vraie vie.

J'étais solitaire et lectrice, je ne regardais que peu la télévision, à peine l'entrevoyais-je quelques minutes avant le journal du soir quand nous descendions dîner et que ma mère m'avait arrachée à mon livre. Vis à vis des spots publicitaires alors j'étais hostile, ils me semblaient être des intrus des empêcheurs de lire en rond.

Et puis advint l'âge où j'eus le droit d'aller seule à Paris, rejoindre au pied de la butte la femme qui m'avait gardée, la tata qui n'était pas ma tante mais une sorte de paradis sur terre connu de moi seule.

Alors j'accomplissais un périple initiatique. Dix minutes de marche à pied pour rejoindre le bus. Quinze minutes de bus pour atteindre la Porte de Clignancourt. Deux stations de métro, un métro aux sièges de bois et aux wagons rouges pour les premières classes et verts pour les secondes classes. Je montais dans un wagon vert jusqu'à la station Marcadet -Poissonniers.

Souvent j'ai vu démarrer devant moi l'autobus. Je l'avais raté, je trépignais d'impatience. Au dos du véhicule s'imprimaient les lettres moqueuses "Ferrier c'est Pou". Je ne comprenais pas ce que cela voulait dire. Pour la bonne raison que je ne connaissais nullement l'eau Perrier. A la maison, mon père buvait de l'eau pétillante mais elle se dénommait Vichy Saint -Yorre. J'avais remarqué cette étiquette qui lui donnait ses lettres de sainteté et de noblesse. Je n'envisageai pas qu'il pût exister une autre eau gazeuse. Pour quoi faire ? Je regardais partir le bus, non seulement frustrée mais perplexe, déconcertée. Moi qui étais bonne élève, raflais les prix d'excellence et à qui rien de ce qui était écrit n'était étranger ! Du moins c'était ce que je pensais à cette époque où m'habitait le sentiment de ma propre importance.

Comme c'était le terminus de la ligne 85, mon désarroi ne durait pas et ma bonne humeur reprenait son droit. Je montais dans le bus suivant , vide encore. J e compostais mon billet dans un clac sonore qui m'emplissait de joie, je m'asseyais près de la vitre à une place solitaire . Des yeux je dévorais tout ce que je pouvais voir.

Après un trajet parfois long dans les puces de Saint Ouen où les objets insolites se déplaçaient en pleine rue dans les bras d' une armée anarchique de diligentes fourmis préparant la frénésie commerciale du week end, où la brocante jonchait les trottoirs et où je tentais d'identifier les étranges statues que je prenais alors pour ce qu'on appellerait aujourd'hui des installations artistiques , j'arrivais à un autre terminus, celui du métro.

Le Métro. Pour moi c'était le rêve. A la Porte de Clignancourt. Il y avait beaucoup de bus , beaucoup de gens. Une foule grouillait , se pressait vers les entrailles de la terre, s'engouffrait dans la bouche ornée du magnifique M jaune dans lequel je reconnaissais sans modestie aucune l'initiale de mon prénom.

Les escaliers de bitume noir du métro, je les adorais. Je les descendais avec frénésie et jubilation. C'était sans doute la trace de mon enfance à Montmartre. J'avais grimpé tant de fois les escaliers de la Butte, si durs aux miséreux disait la chanson. Quand on est enfant, on ne s'imagine pas ce qu'est être miséreux. Par contre l'orgue de barbarie je l'entends encore égrenant les chansons de Paris. Je l'entendais déjà tandis que je descendais les escaliers du métro. Je l'ai toujours entendu, je l'entendrais toujours. Mon souffle s'accélérait, mon cœur battait plus vite.

Le plus souvent le métro était là. Donc il m'attendait, ça va de soi. Lorsque je voyais le convoi rouge et vert orné de "M" en lettres gigantesques, c'était comme un rendez vous amoureux. Pendant quelques minutes je n'étais qu'émotion. Je m'asseyais sur un siège dont les lattes de bois vernies brillaient comme un miroir, je passais ma main dessus, je collais le nez à la vitre. Entre le métro et moi, c'était une étreinte.

Il y avait un tunnel. Dans ce tunnel, de gigantesques lettres blanches en partie recouvertes par la poussière inscrivaient "du bo, du bon dubonnet". J'avais à peine le temps de lire, je ne comprenais pas. D'une fois sur l'autre je m'attendais à trouver le détail qui me donnerait la clé de l'énigme. Je pensais avoir raté une lettre, un mot.

Je ne demandais pas aux adultes. J'étais ainsi. Il m'appartenait de construire le monde, je finirais bien par comprendre. Ca a duré longtemps avant que je sache ce qu'était Dubonnet . Quand c'est arrivé, j'étais adulte et ça ne m'intéressait plus du tout. Le mystère Dubonnet avait perdu son charme. J'avais grandi. Pourtant avec l'énigme Dubonnet sur les murs du tunnel du métro, j'ai frémi des années.

Il y avait d'autres inscriptions dans la station Château-Rouge. Un dentifrice blanc strié de rouge annonçait "Signal protège vos dents". Celle là, je la détestais. Je n'avais aucune envie de penser au dentiste, à sa roulette et à son eau à l'odeur de clou de girofle tandis que j'entreprenais une épopée extraordinaire. Je me détournais. J'étais prête à prendre le roman que j'avais dans mon sac.

Il y avait la lessive aussi, je ne sais plus laquelle. Il était dit qu'elle lavait plus blanc. Plus blanc que quoi ? Les panneaux parisiens ouvraient en moi des abîmes de questionnements. Probablement est-ce dans le sous-sol du métro que j'ai découvert le fonctionnement de la métaphore. Mais j'y rencontrais aussi l'éphémère et incroyable légèreté de l'interrogation humaine. Car quand j'arrivais à la station Marcadet-Poissonniers, une ou deux minutes plus tard, ça n'avait plus d'importance.

Marcadet-Poissonniers : j'ai toujours adoré ce nom comme si j'allais voir la mer; Grâce à lui, mon parcours était non pas simple trajet mais odyssée ! A Marcadet-Poissonniers un autre monde m'attendait. J'avais en main un petit sac de voyage que m'avait donné ma grand-mère. Elle était employée d'une compagnie aérienne après voir auparavant tenu un petit commerce jusqu'au décès de son mari mon grand -père. Le salariat était pour elle le paradis. Elle nous inondait fièrement des cadeaux de l'entreprise. J'avais eu un sac et un petit agenda -carnet -d'adresse que je portais avec moi. Sur le sac était inscrit "UTA va où vous rêvez d'aller". S'il faut que les écritures s'accomplissent… Je n'étais jamais montée dans un avion pourtant et ne savais pas non plus ce qu'était UTA, mais j'aimais ce sigle inconnu et magique. Quand je descendais sur le quai, j'avais envie de danser, pareille à la petite bouteille ronde orange sur le panneau d'en face qui invitait charmeuse "secouez moi, secouez moi".

Le trajet dans l'autre sens je ne pourrais pas le décrire. Il s'est effacé, opaque et mate, de ma mémoire. Il me semble que je ne voyais rien. Quand j'avais regagné pour dîner le pavillon de banlieue où se déroulait mon ennui, la bande d'abrutis qui se trémoussait sur l'écran télévisuel en hurlant "fraicheur de vivre, hollywood chewing gum" me mettait de mauvaise humeur. Les seules images qui ont pu m'amadouer ces soirs- là étaient celles d'une publicité pour un chocolat fourré à la noix de coco "les chasseurs de paradis, un jour, ils ont découvert Bounty…".

Je regardais les cocotiers et la mer : Marcadet Poissonniers.

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