Miroir brulant de l'eau



Texte de Michel CAZENAVE.

Textes en miroir | Martine Estrade | Literary Garden

Et Narcisse à la rive
du désir
englouti

(Soleil – flammes royales – midi –
tout le ciel dans son dos :
il
ne voyait sa figure que
dans
cet éclatement de lumière :

il était en
amour de
l'auréole de gloire –
mille rayons – reflets
vifs –
qui
abolissait, exaltait
la beauté de ses yeux),

Narcisse donc – il est l'heure ! –
murmurait
à voix haute :
Tu es si beau, de vrai !

Tandis que,
réfugiée – forêt d'yeuses
dérobée
où elle pleurait à son aise –

la nymphe répondait :
De vrai !
De vrai ! disait Narcisse ;
De vrai ! disait
Echo –

Et Narcisse tout au bord

(allongé
dans les herbes – cette odeur
entêtante
des gramens écrasés et des tiges
foulées) –

tout au bord
du miroir
de la mort sommeilleuse – cette glace
fluente
de
sa beauté emportée –
brisée, cassée, refaite –
de seconde en seconde re-
composée –

Narcisse comme
au rebord
de ce songe
qui
prendrait tout avec lui,

(ah ! le songe sans fin – cette
image – le grand rêve
de moi –
mais oneiros,
thanatos, ô hypnos !
ô hypnos ! n'êtes-vous
frères affins ? -

Les enfants de la Nuit
qui s'étend du cœur noir
du midi
rutilant),

Narcisse,
il s'abandonne –
il se laisse dériver
dans l'amour embrasé de ce bel
inconnu –

Et chante et pleure
Echo :
il
n'entend plus dans le loin
(même près – mais, n'est-ce pas ?
quand on dérive
de la sorte à l'étouffante stupeur
du mobile
immobile …),

il n'entend plus de près-loin
que l'écho de l'écho –

cet écho
de son corps,
de ses yeux, de ses membres –
parfum de roses broyées sous le poids
de son sein :

il n'est plus que
l'écho
du miroir ondulant

(ou miroir
de l'écho
qui s'éteint tout là-bas :
le miroir
du miroir
où explose soleil :

le soleil – la mort ! –
plus profond que la nuit
donne-moi ton
baiser, ô
étrange étranger ! –

Meurs ! Meurs !
Fleur nouvelle à demain
quand se lève
la lune –
la lanterne inversée

de la voix
enfin tue) –

toute la terre
peut crouler :
l'eau soudain de la boue
pour
deux minutes fuyantes :

Mais il a déjà fui
et la nymphe
éperdue
(et perdue)
ne voit plus au miroir
que le râle de celui
qui
s'est donné de l'amour

à l'amour de l' Amour

(quel amour ?
Quelle amour de
ce grand reflet sonore
en vanité
triomphante ?) –

A l'amour
Et sa voix presque éteinte
répète
aux lis penchés :
Amour …

Et les monts
font écho à l'écho :
d'Echo :
Amour !

(A mort – amor –
a-mort –
Ah ! meurs,
amer, aimer,
Aimer l'amer de la mort à
l'amour ?
De l'amour – à mort ?
De la mer
de l'amour ?
de la Mère de la mort
à mort ?)

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